
L’ancienne pensionnaire du Théâtre national Daniel Sorano et figure emblématique de la musique mandingue, Mahawa Kouyaté, a salué la célébration des 60 ans de cette institution culturelle, ‘’grande école’’ et ”creuset de la diversité culturelle sénégalaise’’, selon elle.
La chanteuse guinéenne, naturalisée sénégalaise a ouvert les portes de son domicile situé sur la VDN, non loin du cimetière catholique Saint-Lazare.
Tout de blanc vêtue, le foulard soigneusement nouée sur la tête, elle s’exprime avec humilité et élégance, dans un décor empreint de souvenirs artistiques, marqués par les grandes tournées, les répétitions mythiques, les accolades présidentielles et les applaudissements nourris des salles de spectacle.
Mahawa Kouyaté, née en 1949 à Conakry (Guinée), est issue d’une lignée prestigieuse de djélis (griots), spécialistes de la musique épique. Elle est la fille d’El Hadj Djali Kandara Kouyaté, chanteur renommé et joueur de xalam et de la cantatrice Mariama Dianké Kouyaté.
‘’Mes racines sont profondément ancrées dans la tradition. Mon père et ma mère étaient tous deux des gardiens de la mémoire mandingue. La chanson épique est chez nous une parole sacrée transmise par le chant’’, confie-t-elle.
Sa trajectoire artistique bascule en 1967 lorsqu’elle fait la rencontre de Soundioulou Cissokho, célèbre joueur de kora, lors de l’inauguration du palais du Peuple à Conakry. C’est le coup de foudre.
‘’J’avais 18 ans, je chantais depuis mon enfance. Il a entendu ma voix et a tout de suite su. Nous nous sommes mariés et j’ai intégré son groupe, aux côtés de Maïmouna Galassa Kouyaté”.
Le trio ainsi formé entame une tournée régionale qui le mène au Liberia, en Casamance et dans la sous-région. Leurs morceaux sont largement diffusés par Radio Sénégal. Le succès est immédiat.
En 1972, Soundioulou et Mahawa sont appelés à rejoindre le Théâtre national Daniel Sorano par son directeur, Maurice Sonar Senghor. Ce dernier connaissait Soundioulou depuis les années 1950.
‘’Il faisait partie des membres fondateurs de l’Ensemble lyrique traditionnel lors de la création de Sorano en 1965, mais il l’avait quitté en 1967. C’est six ans plus tard qu’il y est retourné avec moi’’, explique-t-elle.
Son arrivée au Théâtre Sorano coïncide avec une répétition générale de la pièce Xawaré, qui rassemblait toutes les disciplines : ensemble lyrique, ballet national et troupe dramatique.
‘’Normalement, il fallait passer une audition. Mais ce jour-là, on m’a immédiatement intégrée à la répétition. Trois jours après, la pièce était jouée devant le public’’.
Durant plus de quarante années, Mahawa Kouyaté et Soundioulou Cissokho vont porter la voix du Sénégal et de Sorano sur toutes les scènes du monde. ‘’Nous avons sillonné l’Afrique, l’Europe, le Moyen-Orient, l’Amérique (…). Nous avons joué devant les plus grands chefs d’État, chanté dans les plus grands festivals’’, se remémore Mahawa.
Elle évoque, avec émotion, l’épisode du séisme d’El Asnam en Algérie, en 1980.
‘’Ce jeudi-là, nous devions nous produire à Asnam après une étape à Alger. À la dernière minute, les organisateurs ont repoussé notre départ. Vers midi, les secousses ont été ressenties même à Alger. C’est ainsi que nous avons échappé au drame, avant d’être évacués à Oran’’, raconte-t-elle.
Mahawa Kouyaté garde de Sorano, l’image d’un espace d’apprentissage et de brassage culturel.
‘’C’était une vraie école. Chaque artiste devait apprendre les chansons dans toutes les langues : wolof, sérère, peul, mandingue, diola. Sur scène, les différences s’effaçaient. L’unité culturelle se faisait par la voix, le rythme et le geste’’, nous explique ainsi la diva.
Elle rend un hommage appuyé au président Léopold Sédar Senghor, qu’elle qualifie de ‘’visionnaire”.
‘’Il avait une haute idée de la culture. Il voulait qu’on montre au monde ce que le Sénégal avait à offrir. Nous l’accompagnions souvent lors de ses déplacements à l’étranger, pour représenter le pays avec nos voix, nos instruments et nos danses.’’
Parmi ses œuvres phares, elle cite Bandiar (un hommage aux jumeaux Al Hassan et Al Hussein Sylla), Emile Badiane, Mariama (sa création préférée), Nanfulé (chanson dédiée à son époux) et Sory, un hommage aux religieux mandingues et aux familles Touré.
La complicité artistique et personnelle avec Soundioulou Cissokho était telle que leurs prénoms, ‘’Soundioulou et Mawa’’, sont gravés ensemble sur la calebasse de la kora. Ils formaient un duo unique, soudé par l’amour de la musique, du peuple et de la tradition.
À la fin de l’entretien, Mahawa Kouyaté entonne Nanfulé en a cappella. Sa voix, claire et posée, conserve toute sa richesse et sa profondeur.
‘’Sorano est une mémoire vivante. C’est un lieu sacré qu’il faut préserver. La célébration de ses 60 ans est un moment de transmission, de partage et de retrouvailles’’, affirme Mahawa Kouyaté
Elle appelle la jeune génération à se rapprocher des aînés. ‘’Il faut évoluer, oui. Mais certaines connaissances ne s’apprennent pas dans les livres ni sur les écrans. Il faut venir s’asseoir, écouter, observer, apprendre. Surtout dans la musique mandingue où un mot peut changer le sens d’un chant entier’’, indique-t-elle.